Bonne nuit, voisin - Épisode 1
by Eric Levin
Le mascara d’Abigail coule sur ses joues trempées de larmes.
Elle noie sa peine dans la musique de rupture que crachent ses enceintes.
Son voisin finit par tambouriner au mur derrière elle.
MOINS FORT À CÔTÉ !
J’AIMERAIS BIEN DORMIR !
Abigail baisse le volume.
Désolée !
Elle sanglote doucement.
Mais son voisin l’entend toujours de l’autre côté du mur.
Sa voix s’adoucit.
Hé… Je suis désolé…
Abigail essuie ses larmes.
Ce n’est pas de votre faute…
Pourquoi les grandes eaux, alors ?
J’ai eu une dure journée…
J’ai rompu avec mon copain.
Elle entend son voisin éclater de rire.
Frustrée, elle donne un coup contre le mur.
Vous trouvez ça drôle ?
Oh là là ! Pardon…
C’est juste que d’habitude, c’est pas la personne qui rompt qui pleure…
Je sais bien.
Mais… Je suis pas sûre d’avoir pris la bonne décision.
En larguant Brad ?
Abigail marque un temps d’arrêt.
Attendez, vous nous espionnez ?!
Non…
Mais vous connaissez son nom !
Elle frappe à nouveau le mur.
Hé, j’ai une étagère de ce côté.
Arrêtez d’écouter aux portes !
J’écoute pas aux portes ! C’est vous qui vous disputiez tout le temps…
Comment est-ce que je pourrais ne PAS connaître son nom ?
Abigail rougit et garde le silence.
Pour ce que ça vaut, je crois que vous avez pris la bonne décision.
Il a l’air d’être un sale type.
Vous ne le connaissiez pas.
Un mec qui vous parle comme ça ne vous mérite pas.
Il avait des bons côtés…
Abigail réfléchit un instant.
Mais vers la fin, on ne se touchait plus.
Je sais. J’ai super bien dormi en décembre.
Berk ! Pas la peine d’être vulgaire.
Mais Abigail ne peut s’empêcher de glousser.
De mon point de vue, vous êtes bien mieux sans lui.
De mon point de vue, vous êtes un mur.
Ils éclatent de rire puis soupirent à l’unisson.
Excusez-moi pour le bruit…
Je vais vous laisser dormir.
Pas grave. Impossible de dormir ce soir, de toute façon.
Mais il est deux heures du matin !
Je sais. Moi aussi, j’ai eu une rude journée.
Pire que la mienne ?
J’en sais rien, mais rude quand même.
Abigail s’adosse au mur.
Vous voulez m’en parler, voisin ?
Je m’appelle Franck. Je crois qu’on peut se tutoyer, non ?
Abigail éclate de rire.
Oui, je crois qu’on peut. Moi, c’est Abigail.
Je sais, j’ai entendu ton nom pendant vos disputes. Mais je suis ravi de te rencontrer officiellement.
Frank pose sa main sur le mur.
Plus ou moins, en tout cas.
Abigail fait glisser le bout de ses doigts le long du mur de béton qui les sépare.
Ravie de plus ou moins te rencontrer, Frank…
Maintenant, parle-moi de ta mauvaise journée.
Elle presse une oreille contre le mur.
Dans la pièce d’à côté, Frank se rapproche pour lui parler.
J’avais un rencart avec la fille de mes rêves…
Ça commence plutôt bien.
Laisse-moi finir.
Pendant le rencart, j’ai…
J’ai eu un accident.
Un accident ?
Ouais. On dînait au restaurant et je suis allé aux toilettes.
Et dans un moment de maladresse…
J’ai renversé de l’eau sur mon pantalon.
De l’eau ?
Genre, de l’eau du lavabo ?
Ouais.
C’est pas bien grave.
Sur mon pantalon !
On aurait dit que je m’étais pissé dessus.
Abigail essaie de toutes ses forces de ne pas rire.
Frank frappe le mur.
Est-ce que tu te marres ?
Je suis pas aussi gamine.
Elle étouffe son rire.
La pire journée de ma vie.
C’est pas la fin du monde.
Dis ça à Emily.
Qui ?
LA FILLE DE MES RÊVES.
Elle m’a jeté un coup d’œil, et elle a décampé.
Une fille qui te fait ça ne te mérite pas.
Tu as peut-être raison.
Donc, on a tous les deux eu des journées décevantes.
Extrêmement décevantes.
Une pensée traverse l’esprit d’Abigail.
Ce serait pas le pantalon que j’ai vu sécher dans ta cour, par hasard ?
Peut-être…
Elle explose de rire.
Je savais bien que je t’avais entendue rire !
Frank donne encore quelques coups contre le mur pour faire bonne mesure.
Je ris avec toi, pas de toi.
N’importe quoi !
JE SUIS SÉRIEUSE.
Moi aussi je me suis déjà renversé des trucs dessus.
Pas pendant le rendez-vous de tes rêves.
C’est vrai…
Frank et Abigail contemplent le plafond de leurs chambres respectives.
Je me demande si je t’ai déjà vu dans l’immeuble…
Bien sûr que oui ! Tu t’en rappelles pas ?
Quoi ?! Non ! Comment tu savais que c’était moi ?
Tu m’as carrément reluqué dans l’ascenseur.
Tu es sûr ?
Attends…
C’est toi, le type avec la veste en cuir ?
Ou tu es celui qui sent la cannelle ?
Bon… J’avoue que j’aime bien les chewing-gums à la cannelle.
Ha ! J’ai failli te demander quelle marque tu achetais.
Tu pourrais commencer par demander le nom des gens…
Comment est-ce que tu as pu ne pas te présenter jusqu’à maintenant ?
Comment est-ce que TU as pu ne pas TE présenter jusqu’à maintenant ?
Je suis pas un bout de viande.
Et au moins, je mets pas ma musique à fond.
Hé, tu mets ton sport à fond tout le temps !
Ils entendent un coup frappé au plafond.
LA FERME !
C’est pas vrai…
Un silence gênant s’installe.
Puis Frank et Abigail éclatent de rire.
Je suis content de t’avoir parlé, Abigail.
Moi aussi…
Même si c’était à travers un mur.
Le silence semble hurler.
Abigail sent une tension palpable dans l’air.
Et si on y remédiait ?
Abigail sourit.
Ça me plairait bien, Frank.
Qu’est-ce que tu proposes ?
Un café ? Un verre ?
Le silence lui répond.
Frank ?
Ohé ?
Elle frappe au mur.
Pas de réponse.
Mais on frappe à sa porte d’entrée.
Abigail se précipite, le sourire jusqu’aux oreilles.
Elle ouvre la porte à la volée.
Et enfin, les voisins se rencontrent en personne pour la toute première fois.
Frank est grand et musclé, mais a un air désabusé.
Abigail a une apparence un peu dure…
Mais son sourire révèle une nature adorable.
Ils se regardent un long moment dans les yeux.
Salut, voisine…
Les yeux d’Abigail s’agrandissent.
Mais oui, je te reconnais ! Mais tu es plus grand que dans mes souvenirs…
Abigail inspire profondément.
Et tu sens toujours la cannelle.
Elle tend timidement la main pour serrer la sienne…
Mais Frank l’attire dans ses bras pour l’enlacer…
Et ces deux voisins fondent dans les bras l’un de l’autre.
App