Table pour deux - Épisode 1
by Grey Kieffer, Ian Kieffer, and Red Toberman
C’est le premier jour de travail de Sofia.
Elle file à toute vitesse sur les trottoirs de San Francisco…
Arrêtant son vélo avec un dérapage devant le célèbre Trolley House Restaurant.
À l’instant où elle entre…
Elle remarque une foule de clients surexcités attroupés autour d’une table.
Sofia se tourne vers l’hôtesse.
Hé, qu’est-ce qu’il se passe ?
Michel LeGrand est là.
Le célèbre chef français ?
Lui-même. Il est génial.
Oui, il a du talent.
Enfin… Est-ce que vous dînez chez nous aujourd’hui ?
En fait, non, je cherche la propriétaire. Valentina ?
C’est mon premier jour.
Oh ! Vous devez être Sofia. Ravie de vous rencontrer !
Allez tout au fond jusqu’à la cuisine.
Vous verrez son bureau en chemin. Elle vous attend.
Merci.
Alors que Sofia se dirige vers la cuisine…
Elle dépasse la foule des adorateurs de Michel LeGrand.
Soudain, le silence tombe sur les fans.
Sofia s’arrête et jette un coup d’œil par-dessus leurs épaules.
Assis seul à une table pour deux se tient Michel LeGrand…
Un Français à la beauté juvénile et aux cheveux blond sable.
La foule retient son souffle tandis qu’il lève vers sa bouche une cuillerée à soupe de gaspacho…
Et en prend une minuscule lichette.
Bof. C’est bon… pour San Francisco.
Les curieux murmurent entre eux, manifestement impressionnés.
Sofia lève les yeux au ciel en s’éloignant.
Connard arrogant.
Dans la cuisine du restaurant, des oignons hachés grésillent dans une poêle chaude.
Les commis de cuisines émincent et hachent les ingrédients.
Les chefs de partie gèrent leurs stations.
L’atmosphère est bruyante, vivante et merveilleuse.
Sofia se sent immédiatement chez elle en pénétrant dans ce chaos.
Elle fait le tour de l’étage…
Se présentant respectueusement aux équipiers…
Mémorisant leurs noms…
Et regardant chacun dans les yeux.
Quelqu’un l’appelle par son prénom.
Elle se retourne pour découvrir Gary, un sous-chef à la carrure imposante.
Gary ! Qu’est-ce que tu fais ici ?
Elle se précipite vers lui pour le prendre dans ses bras.
J’ai accepté le poste de sous-chef il y a environ trois semaines !
Comment ça va ?
Oh, tu sais comment c’est. Le travail, toujours le travail.
Tu sors toujours avec ton entremétier ?
Non, on s’est séparés.
Bah, toi et moi savons bien qu’on n’a pas de temps à accorder à l’amour quand on dirige une cuisine.
Un sourire finaud étire les lèvres de Gary.
Tu es ici pour ce que je pense ?
Le poste de chef de cuisine.
Si Valentina a un poil de bon sens, elle te choisira.
On aurait du bol, tous autant qu’on est.
Me CHOISIRA ?
Et soudain, BAM.
Un coup de pied fait s’ouvrir les portes de la cuisine à la volée…
Et Michel LeGrand entre en se pavanant.
D’un mouvement suave, il se glisse hors de sa veste de sport à la coupe impeccable…
Et le jette à Sofia.
La veste atterrit sur sa tête.
Elle reste clouée sur place, sans parvenir à y croire.
Accroche ça pour moi, tu veux bien ?
À cet instant, la porte du bureau s’ouvre…
Pour laisser apparaître Valentina.
Michel !
Ils se saluent avec en se faisant la bise, à l’européenne.
Et Sofia !
Sofia retire la veste de son visage…
Puis enlace chaleureusement Valentina.
Le prodige français les regarde, confus.
Mes deux chefs préférés !
Tes DEUX chefs préférés ?
Sofia lui lance son manteau.
Le portemanteau est au bout du couloir.
Quelques instants plus tard, Sofia et Michel sont assis côte à côte dans le bureau de Valentina.
Écoutez…
Je sais que ce n’est pas exactement ce que vous imaginiez…
Mais quand je pense à embaucher quelqu’un pour le poste de chef de cuisine de mon restaurant…
Seuls deux noms me viennent à l’esprit :
Michel LeGrand et Sofia Glass.
Le problème, c’est que…
Je n’arrive pas à vous départager.
Sofia et Michel changent nerveusement de position sur leurs sièges.
Michel, cela fait des années que tu te forges une réputation…
En tant qu’artiste culinaire de renommée internationale.
Sofia, tu es le chef le plus branché du moment à San Francisco.
Michel et Sofia se tiennent la tête haute…
Fiers de leurs accomplissements respectifs.
Mais vous êtes jeunes tous les deux.
Vous avez encore beaucoup à apprendre.
Alors, j’ai décidé…
Que durant les deux prochaines semaines…
Vous travailleriez ensemble.
Et à la fin de ces deux semaines…
Nous saurons exactement lequel d’entre vous mènera le Trolley House vers l’avenir.
Michel se tourne vers sa concurrente et l’évalue avec mépris.
Avec tout le respect que je te dois, Valentina…
Je ne comprends pas pourquoi je devrais être mis en concurrence avec…
Un quidam.
Sofia rencontre son regard.
Je suis une enfant chérie de San Francisco.
En ce qui me concerne…
C’est TOI le quidam.
Allons, allons.
Je suis désolée, mais c’est à prendre ou à laisser.
Si vous voulez le poste…
Il va falloir le mériter.
Mes conditions vous semblent acceptables ?
Les deux chefs grimacent.
Mais ils hochent la tête à l’unisson.
Le jour suivant
Sofia porte son tablier de chef tout neuf…
Gary, le sous-chef, lui détaille le menu.
Oh, je vois. Donc, tu fais mariner la sole de Douvres toute la nuit dans le beurre de noix.
Oui, c’est ce qu’on a fait jusqu’à maintenant.
J’aimerais essayer la même chose, mais pendant six heures au lieu de douze.
Si on dépense autant d’argent pour du poisson frais…
On devrait au moins pouvoir en discerner la saveur.
Exactement.
De l’autre côté de la cuisine, le visage de Michel est écarlate.
Il brandit un plat d’asperges…
Sous le nez d’un chef de partie.
Tu serais fier de servir un truc pareil ?
Euh…
La réponse est NON.
Lorsque tu prépares un plat, il n’y a qu’une seule question que tu devrais te poser.
UNE SEULE QUESTION : suis-je fier de servir ce plat ?
Il fourre l’assiette dans les mains du cuisinier.
Recommence.
Sofia et Gary échangent un regard.
Ce soir-là, Sofia est attablée dans la célèbre pâtisserie Tangerine…
Grignotant des biscuits avec le propriétaire, Jermaine.
Je n’arrive pas à croire qu’il t’ait balancé son manteau au visage !
C’est ce que je te dis !
C’est un sale gosse trop gâté.
C’est peut-être vrai…
Mais c’est aussi un chef lauréat du prix James Beard.
Tu prends sa défense ?!
Non, je veux juste dire que…
Parfois, tu juges les gens un peu vite.
Elle lance un regard faussement furieux à son ami ; elle sait qu’il a raison.
C’est juste que… je n’arrive pas à croire qu’après avoir galéré avec mon camion-restaurant pendant deux ans…
À devoir me battre constamment pour faire les choses à ma manière…
Je me retrouve en compétition avec quelqu’un à qui tout est arrivé sur un plateau.
Je sais que ça a l’air injuste.
Mais c’est aussi un avantage.
Tu es une battante, Sofia.
C’est ton truc.
En gloussant, Sofia ferme les poings et les lève en position de combat.
Jermaine rit avec elle.
Le jour suivant…
Dans la cuisine du Trolley House…
Les brûleurs s’enflamment…
L’eau bout…
Et l’on affûte les couteaux.
Michel dévisse sournoisement le couvercle d’un pot de cannelle…
Puis s’éloigne.
Sofia s’empare du pot sans regarder…
Et en verse tout le contenu dans son saladier.
Elle tape du pied, ennuyée.
Plus tard, Michel tient un grand plat rempli d’ingrédients en équilibre précaire.
Sofia lui donne un coup d’épaule en passant, lui faisant tomber le plat des mains.
Celui-ci s’écrase au sol.
Une heure plus tard, Sofia fait frire une longe de porc sur le piano de cuisson.
Elle s’éloigne vers une autre station, travaillant avec diligence.
Tandis qu’elle a le dos tourné…
Michel met le brûleur au maximum.
Pendant ce temps, Sofia fait discrètement tomber un morceau de beurre par terre…
Alors même que Michel approche.
Il glisse et fait un vol plané.
Sofia a un petit sourire suffisant.
Soudain, un nuage de fumée noire s’élève du piano.
Sofia se précipite vers sa longe de porc, paniquée…
Et retire la viande carbonisée du feu…
Pendant que Michel glousse de l’autre côté de la cuisine.
Il se rend ensuite dans la chambre froide pour y prendre des olives.
Sofia s’empare d’une gigantesque spatule en métal…
Et la glisse sous la poignée…
Enfermant Michel dans le local.
À l’intérieur, il frappe furieusement à la porte.
15 minutes plus tard
Sofia saupoudre un peu de safran dans une marmite fumante de soupe de patate douce.
Michel se dirige vers elle, frissonnant.
Vraiment ? Tu m’enfermes dans la chambre froide ?
Je m’attendais à peu plus d’originalité de ta part.
Je préfère mettre ma créativité dans ma cuisine.
Tiens, prends un peu de soupe.
Ça te réchauffera.
Michel la regarde d’un air soupçonneux.
Détends-toi.
Je suis officiellement trop occupée pour avoir le temps de t’empoisonner.
Michel attrape une cuillère et goûte la soupe.
Ses yeux s’écarquillent de surprise.
Sofia lui fait un grand sourire.
C’est délicieux.
Il ne manque qu’une chose.
Il s’empare d’une orange et la coupe en deux.
Il approche le fruit de la marmite…
Arrête !!
Fais-moi confiance.
Elle considère l’orange, puis recule.
Michel presse brièvement le fruit.
Tiens, goûte, maintenant.
Il mélange le contenu de la marmite, puis en prélève une cuillerée pour lui faire goûter.
Elle avale une petite gorgée…
Waouh ! Où est-ce que tu as appris ça ?
C’est un truc de ma grand-mère.
Je passais des heures en cuisine avec elle, quand j’étais petit.
C’est elle qui m’a tout appris.
Sofia regarde Michel.
Ses yeux pétillent.
Peut-être qu’elle le voit vraiment pour la première fois.
Soudain…
Valentina apparaît et laisse échapper un cri.
On a une commande spéciale du maire.
Pour un double soufflé au chocolat et aux groseilles à maquereau !
Une vague de silence déferle sur la cuisine.
Le travail s’interrompt.
Sofia et Michel s’entre-regardent avec appréhension.
Mais ils savent qu’ils peuvent y arriver.
Je vais préchauffer le four.
Je vais préparer le chocolat.
Gary, va chercher les groseilles à maquereau dans la chambre froide, s’il te plaît.
Oui, chef !
Et j’ai besoin de crème de tartre, de vanille et de quatre œufs !
Oui, chef !
Tout le monde est appliqué et concentré…
Chacun s’occupant de ses tâches respectives.
Les deux chefs commencent à disposer les couches d’ingrédients avec délicatesse.
Sofia tend la main pour prendre plus de beurre… en même temps que Michel.
Elle attrape accidentellement sa main.
Leurs yeux se rencontrent…
Désolée.
Pas de souci.
Un silence gêné s’installe entre eux pendant quelques instants.
Tu me passes les groseilles ?
Michel se rend compte qu’il la fixe.
Ah. Oui.
Il lui tend une cuillère.
Elle éclate de rire.
Ça, c’est une cuillère.
Ah. Oui, c’est vrai. Désolé.
Il lui passe les groseilles…
Et entreprend de mélanger la préparation au fouet…
Tandis qu’elle s’occupe de hacher délicatement les fruits.
Chacun a une conscience aiguë de la présence de l’autre…
Et de la proximité de leurs corps.
25 minutes plus tard
Gary, le sous-chef, ouvre le four.
Sofia et Michel se penchent pour voir le résultat de leur travail…
Un glorieux double soufflé au chocolat et aux groseilles à maquereau.
Ils se regardent, plutôt contents d’eux-mêmes.
Le maire sera ravi.
Plus tard ce soir-là
Gary ferme la porte du garde-manger et rassemble ses affaires.
Bonne nuit, Sofia.
Bonne nuit, Gary.
Dans la salle du restaurant, Michel est assis seul…
Un verre de vin rouge à la main.
Sofia se dirige vers lui.
Tu as de la place pour un peu de compagnie ?
Bien sûr. Cette bouteille ne va pas se boire toute seule.
Elle s’assied et se sert un verre.
Alors comme ça, tu n’es pas le plus gros connard du monde, finalement.
Je ne sais pas…
Je t’ai quand même balancé une veste au visage.
En effet.
Il y a un silence.
Pourquoi est-ce que tu fais des choses pareilles ?
Michel pose son verre sur la table.
Il la considère de ses yeux bleus perçants.
Beaucoup de gens pensent que je n’ai jamais eu à conquérir quoi que ce soit.
Comme je suis jeune, talentueux et que j’ai du succès…
Ils pensent que tout m’a été offert.
Mais ce n’est pas vrai.
J’ai commencé en tant qu’apprenti quand j’avais quinze ans.
Et depuis, j’ai travaillé quasiment tous les jours de ma vie.
Je me suis endurci…
Parce que c’était nécessaire.
Personne ne sait à quel point cette vie est difficile.
Il s’adoucit.
Sauf toi, peut-être.
Tu as assuré aujourd’hui.
Sofia soupire et sourit.
Tu sais quoi ?
Je pense qu’il est temps pour nous de commencer à travailler ensemble…
Au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues.
Tu as raison.
Nous ne donnons pas le meilleur de nous-mêmes en étant en compétition.
Alors… On signe une trêve ?
On signe une trêve.
Ils se serrent la main pour sceller leur accord.
Tu sais, toi aussi tu as assuré aujourd’hui.
Michel lève les yeux de son verre de vin.
Ses yeux pétillent à nouveau.
J’aurais pu faire mieux.
Je n’étais pas concentré.
Pourquoi pas ?
Parce que je t’observais.
Sofia rougit, puis prend une autre gorgée de vin.
La semaine suivante
Il est l’heure du déjeuner.
La brigade du Trolley House fonctionne comme une machine bien huilée.
Sofia et Michel arpentent la cuisine…
Orchestrant en douceur le chaos contrôlé…
Et échangeant l’un avec l’autre des sourires charmeurs.
Beau travail, les gars.
J’adore la présentation de cette panna cotta.
Encore trois minutes pour les saucisses et les haricots.
Combien pour les œufs Bénédicte ?
Une minute, chef !
Génial ! Bien joué !
Sofia et Michel adoptent un nouveau ballet en cuisine…
Se croisant et s’esquivant tandis qu’ils travaillent.
Comme de la poésie en mouvement.
Sofia fait signe à Michel.
Tu veux bien venir ?
Oui, un instant.
Michel saupoudre un plat de sucre glace et rejoint Sofia.
J’ai réfléchi au menu du dîner.
Qu’est-ce que tu penses du tartare de flétan ? Honnêtement ?
Je le déteste. Je trouve qu’on fait un vrai tort à ce plat.
Elle s’illumine.
C’est exactement ce que je pense.
Alors, comment on y remédie ?
Eh bien… Je crois que la première chose à faire, ce serait de relever un peu le bouillon.
Du citron, du curcuma, peut-être un genre de…
Ils réfléchissent un moment, puis…
Ils parlent en même temps.
Du jambon de Serrano ?
Ils s’interrompent et se regardent, stupéfaits.
OK. C’était VRAIMENT bizarre.
Oh, tu as quelque chose sur ton…
Elle se penche et essuie une éclaboussure de bouillon sur le tablier de Michel.
Il la regarde fixement tandis qu’elle s’exécute.
Merci.
Sofia lui rend son regard.
Pas de souci.
Gary arrive tout à coup et leur tend une assiette de biscuits au babeurre à inspecter.
Qu’est-ce que vous en dites ?
Un peu plus croustillant.
Laisse-les au four une minute de plus.
On dirait que vous avez tous les deux trouvé votre rythme.
Dommage que vous ne puissiez pas TOUS LES DEUX être chefs de cuisine.
Sofia et Michel se regardent.
Malheureusement, il a raison.
Le jour suivant
C’est l’heure du déjeuner.
Sofia se trouve seule dans le garde-manger…
À la recherche de quelque chose…
Quand Michel la rejoint.
Il lui parle à voix basse.
Écoute, j’ai réfléchi…
Et on a un problème.
Je sais.
Valentina ne peut embaucher que l’un de nous.
Alors, on fait quoi ?
On peut se retirer de la course tous les deux.
On peut tous les deux travailler où on veut.
On ne devrait pas être en concurrence pour le poste.
Peut-être que TU peux travailler où tu veux.
Je ne suis pas sûre que ce soit mon cas.
Écoute, ça fait un moment que je pense à ouvrir mon propre restaurant.
J’aurais besoin d’un partenaire…
Un partenaire ? Un égal, tu veux dire ?
Exactement. On ferait tout ensemble. Moitié-moitié.
Qu’est-ce que tu en dis ?
Je… euh…
Michel se rapproche d’elle.
Et Sofia fait de même.
Attendez un instant…
Est-ce qu’ils sont sur le point de… ?
C’est le moment que choisit Gary pour entrer dans le garde-manger.
Il est manifestement surpris de trouver Sofia et Michel si près l’un de l’autre.
Oups. Euh, désolé.
J’ai juste besoin de ces bons vieux légumes.
Il s’empare de quelques navets et s’esquive aussitôt.
Sofia soupire.
Alors ? Qu’est-ce que tu en dis ?
Le regard qu’il pose sur elle est empli de gentillesse et de vulnérabilité.
Sofia sourit.
OK, on le fait !
Plus tard ce jour-là
Les employés du restaurant font la queue pour se servir à manger avant le service du soir.
Gary est assis avec les chefs de partie, enchaînant les plaisanteries, tandis que Sofia et Michel se servent.
Ils prennent place sur les banquettes d’une table.
OK, je crois que je vais faire l’annonce bientôt.
On a vraiment besoin de l’annoncer ?
Je pense qu’on devrait plutôt en parler directement à Valentina.
Fais-moi confiance, c’est important d’informer la brigade.
Bon…
Elle entend soudain la voix de Valentina.
Sofia ?
La tête de Valentina émerge de son bureau.
Tu as un instant ?
Sofia regarde Michel.
Attends que je revienne, OK ?
Sofia pénètre dans le bureau de Valentina et s’assied en face d’elle.
Écoute, j’ai bien réfléchi…
Michel et toi, vous êtes tous les deux fantastiques.
Vous méritez tous les deux le poste.
Mais j’ai pris ma décision.
Le poste est à toi… si tu le veux.
L’expression de Sofia se décompose.
Je… euh… Honnêtement, je ne m’y attendais pas.
Il y a un problème ?
Non, c’est juste que…
Tu as travaillé dur pour en arriver là, Sofia.
Tu le mérites.
Je crois que tu as l’occasion de faire quelque chose de vraiment spécial ici.
Je le pense aussi. Je me demande juste si…
Valentina pose sur Sofia un regard pénétrant.
Je sais que Michel et toi… êtes devenus proches.
Mais crois-moi.
Michel accepterait le poste si je le lui proposais.
Le regard de Sofia se déplace à toute vitesse dans la pièce.
Elle avale nerveusement sa salive en rencontrant les yeux de Valentina.
Quelques instants plus tard
Sofia pénètre dans la cuisine avec un air penaud.
Tout à coup, elle entend un tintement.
C’est Michel…
Qui tapote un verre à vin avec une cuillère en argent.
Mesdames et messieurs…
J’ai une annonce importante à vous faire.
La brigade se rassemble autour de Michel.
Sofia marmonne dans sa barbe.
Oh, non.
Ça a été un immense plaisir de travailler avec chacun d’entre vous.
Mais j’ai décidé qu’il était temps pour moi de quitter le Trolley House…
Et d’enfin réaliser mon rêve…
De me lancer à mon compte.
Sofia est plantée là, incapable de bouger.
Elle continue à murmurer pour elle-même.
Non, non, non, non…
Et je suis heureux d’annoncer que la merveilleuse Sofia Glass…
A accepté de faire partie de cette aventure.
Les yeux de Sofia s’ouvrent grand.
Michel ! En fait…
Euh, il y a eu un malentendu.
Michel s’arrête net, pris au dépourvu.
On vient de m’offrir le poste de chef de cuisine…
Ici, au Trolley House.
Et j’ai décidé d’accepter.
À ces mots…
Elle voit une douleur profonde se peindre sur le visage de Michel…
Elle est dévastée.
Oh. Je vois…
En effet, il y a bien eu un malentendu.
Je… Je suis désolée…
Moi aussi.
Sans un autre mot, il se détourne…
Et traverse la salle…
Poussant en sortant les battants de la porte du restaurant.
La semaine suivante
Sofia est vêtue d’une impeccable veste blanche de cuisinier.
Elle est aux commandes de la cuisine durant un service du soir mouvementé.
On lance le tartare de bœuf ! Ça nous fait quatre tartares au total !
Il nous faut deux faux-filets – un à point et un saignant.
Oui, chef !
Un commis de salle surgit et s’empare d’une assiette.
Les éloges fusent à la table 20, chef.
Valentina entre alors qu’il sort.
Félicitations ! Encore un service du tonnerre.
Bernard Bernice, du Eater…
M’a dit que c’était le meilleur repas de sa vie.
Oh, super !
Continue comme ça, Sofia !
Alors que Valentina disparaît, Sofia laisse échapper un profond soupir.
Tout se déroule bien…
Mais quelque chose ne va pas du tout…
Le matin suivant
Sofia mange un croissant, assise à la pâtisserie Tangerine.
Jermaine est installé en face d’elle.
Allez ! Tu as eu le poste !
Tu devrais fêter ça !
Le ton de Sofia est empesé par le sarcasme :
Ouais. Sors le gâteau et les bougies.
Tu ne te sens pas fière de toi ?
Non. Je me sens coupable.
Écoute, tu as fait ton choix.
La Sofia que je connais ne regarde jamais en arrière.
Sofia redresse les épaules.
Tu sais quoi ? Tu as raison.
En plus, Michel aurait fait la même chose à ma place.
Jermaine prend une gorgée de son café.
Sofia se mord la lèvre.
Pas vrai ?
Jermaine ne répond rien.
Ce soir-là, au Trolley House
Dans l’effervescence d’un autre service du soir…
Sofia a l’air triste et fatigué.
Ça va, chef ?
Oui, oui. Merci.
Une nouvelle commande s’imprime sous ses yeux.
On a une commande pour un double soufflé au chocolat et aux groseilles à maquereau.
Gary, va chercher les œufs.
J’y vais.
Sofia se met en action.
Elle attrape un saladier et commence à ajouter les ingrédients.
30 minutes plus tard
Sofia couve du regard son glorieux double soufflé au chocolat et aux groseilles à maquereau.
Mais tout à coup…
Le dessert s’affaisse sur lui-même…
Se dégonflant comme un ballon.
Cette vision lui fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre…
Un brusque flot d’émotion la submerge.
Les larmes lui montent aux yeux.
Elle se sent coupable, nostalgique et triste.
Elle essaie de se dominer…
Mais elle n’y arrive pas.
Gary s’approche d’elle.
Qu’est-ce qui ne va pas, chef ?
Elle prend une décision.
Gary, tu prends les commandes.
Les chefs de partie lèvent tous les yeux de leurs stations.
QUOI ?
Sofia arrache son tablier, le jette sur un plan de travail…
Et sort de la cuisine.
45 minutes plus tard
Sofia dépasse bâtiment après bâtiment sur son vélo…
Cherchant désespérément le bon.
Elle s’arrête avec un dérapage…
Le voilà.
Elle a des papillons dans le ventre.
Par la vitre d’une devanture délabrée…
Elle voit Michel à pied d’œuvre.
Il prend des mesures pour son nouveau restaurant.
Elle attache son vélo avec l’antivol…
Rassemble tout son courage…
Et entre.
Michel plante un clou dans le mur avec application.
Il n’entend même pas la porte s’ouvrir.
Salut, chef.
Michel se retourne.
Ses yeux s’écarquillent de surprise.
Pendant quelques instants, ils restent immobiles, se jaugeant l’un l’autre.
Tu ne devrais pas être au Trolley House ?
Si.
J’y étais, mais…
L’expression de Michel s’adoucit.
Il lève un sourcil.
Je démissionne. Je démissionne du seul boulot que j’aie jamais voulu.
Pourquoi ?
Parce que je préférerais travailler avec toi.
Un sourire illumine le visage de Michel.
Je préférerais ÊTRE avec toi.
Elle fait quelques pas dans sa direction.
Tu ne chercherais pas un sous-chef, par hasard ?
En fait… C’est plutôt un partenaire que je cherche.
Michel se rapproche d’elle.
Ils se regardent au fond des yeux.
Le monde autour d’eux semble s’évanouir.
Puis, ils s’enlacent…
Et s’embrassent avec passion.
Après un long moment, Sofia rompt leur étreinte.
Elle parcourt la salle du regard…
Celle-ci est vide à l’exception de quelques tables et de quelques chaises.
Alors… Des idées pour le menu ?
Michel et Sofia s’asseyent à une table…
Pour plancher sur le menu de leur nouveau restaurant.
Car ils sont partenaires, à présent…
Amants, partenaires, et chefs…
Travaillant jusque tard dans la nuit, assis à une table pour deux.
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